Apprendre un texte… au coeur de la pédagogie ?

Je me sens aujourd’hui un peu obligé de réagir à certains propos de Lionel Naccache, que j’admire pour son travail et ses recherches, et que je ne peux donc pas laisser glisser sur ce que je pense être soit une erreur d’interprétation, soit un malentendu, dont les anti-pédagogues risqueraient de se saisir, à tort, et à des fins que je ne souhaite pas.

En effet, lorsque Lionel Naccache, au cours de cette très riche et intéressante intervention en juin 2011 au Collège des Bernardin lors d’un débat sur les sciences du cerveau et de l’apprendre, débute la présentation de cette expérience de Karpicke nous dit « on est là au cœur de la pédagogie (…) vous voulez faire apprendre un texte… », je crains que cela puisse prêter à confusion, et il m’est difficile de ne pas réagir.

Et cela d’autant plus que dans mon dernier billet, Compétences, mon pavé dans la mare, je raconte justement combien l’expérimentation des PPRE, menée à la suite des évaluations nationales de CE2, m’avait semblé éclairante sur les mauvaises voies sur lesquelles « l’évaluationnite aigue » pouvait nous mener s’il l’on ne prenait pas garde aux indicateurs choisis et à la pertinence de leur interprétation.

En effet, et bien avant l’expérience scientifique de Karpicke décrite par L. Naccache, notre modeste expérimentation nous avais démontré à peu de choses près qu’effectivement, ce type d’approche travail / évaluation / travail / évaluation / travail / évaluation (mais dans notre cas sur des items et non spécifiquement sur un texte) était « efficace » dans le sens où la « mémorisation » était bonne, et que les élèves finissaient par avoir de bons résultats aux évaluations sur ces items lors de l’évaluation finale du PPRE.

Mais c’est ensuite que se situent nos divergences d’interprétation, voir le malentendu : Car si, comme je viens de le dire, cela semblait donc être une réussite, puisque les élèves « réussissaient » leurs évaluations sur les items ainsi « travaillés », les effets sur l’ensemble du cursus et les compétences des élèves n’étaient eux, absolument pas significatifs ! La distance analogique restait-elle trop grande ? Trop implicite ?

Il fallait donc prendre un autre chemin pour que « ces meilleures performances » fassent sens, et soient exploitables par les élèves ailleurs que dans une évaluation sur ce texte ou ces items.

« Apprendre un texte » ne me semble donc pas être « au cœur » de la pédagogie, et toutes les précautions dont s’entoure L. Naccache me laissent d’ailleurs à penser qu’il en est le premier convaincu. Peut-être justement que l’expression « Apprendre un texte » serait à expliciter et à réfléchir pour pouvoir se rapprocher du cœur de la pédagogie… La question du comprendre ? C’en est donc surement un des éléments, mais il serait simpliste et dangereux pour les élèves et l’éducation de réduire ainsi à cette activité la problématique de l’APPRENDRE et de donner ainsi l’occasion à certains de s’accrocher à ce type d’affirmation pour appuyer leur vision simpliste et erronée des processus essentiels au cœur de l’apprentissage et de l’acte pédagogique.

Les résultats de cette expérience de Karpicke ne me semblent d’ailleurs à ce titre pas particulièrement surprenants et aussi « contre-intuitifs » que ce que le laisse penser L. Naccache. Mais comme il se plait à le dire, il n’est « pas spécialiste de la pédagogie ». Je me réjouis par contre que de tels scientifiques émérites des neurosciences se penchent ainsi sur l’acte pédagogique, et suis persuadé qu’une collaboration accrue avec les sciences de l’éducation nous réserve de belles découvertes et pistes à venir.

Il s’agit maintenant d’aller plus loin grâce à ces sciences somme toute encore bien jeunes, de profiter de leurs éclairages sur ce qui est en jeu dans cette question de l’apprendre à apprendre, des processus en jeu de façon plus complexe et mieux articulée aux processus de création/acquisition des concepts, de la construction de l’abstraction et de la pensée, des nouvelles « apprenances », et de leur donner toute la place qu’elles méritent dans la formation des enseignants.

L’intégralité de la conférence au Collège des Bernardins: Les sciences du cerveau nous aident-elles à apprendre ?
Les sciences du cerveau nous aident-elles à… par college-des-bernardins

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