Ou, quand les contraintes créent de l’interactivité…
Alors voilà je voulais mettre mon petit grain de sel dans le débat qui agite beaucoup certains acteurs de l’éducation en ce moment autour des TBN (tableau blanc numérique), de leurs apports ou non et de leur place à donner dans un espace d’apprentissage (enfin, c’est comme cela que je l’envisage). Et c’est justement sur ce versant de l’espace, finalement peu évoqué contrairement à celui de l’accès aux ressources que le TBN permet, que je vais faire ce premier billet.
Nous sommes à peu près tous d’accord qu’il arrive que l’outil ne serve finalement que de tableau « amélioré », ce qui est encore beaucoup le cas, mais ne jetons pas la pierre à ces enseignants, qui souvent sans formation et sans aide particulière se lance dans l’exploitation d’un TBN. Et pourtant, ces outils ont des atouts pédagogiques dont on ne parle pas beaucoup, et que les fabricants tentent même de faire disparaitre étant pour la plupart issus du monde de la présentation en entreprise. En effet les fabricants recherchent en permanence à réduire les contraintes liées à leur produit. Et si ces contraintes étaient justement des leviers pour le pédagogue ?
Je vais donc vous parler de l’ombre portée sur le TBN portable (SmartBoard) avec lequel je travaille. En itinérance, un de ces maîtres E qui sévissent encore, et travaillant avec de très jeunes enfants, j’installe le TBN avec son vidéoprojecteur pratiquement au sol. De ce fait, dès que l’on se place devant le tableau, le corps coupe le faisceau lumineux du projecteur. Beaucoup d’enseignants sont gênés par cette ombre portée et se réjouissent de pouvoir posséder un TBN plus moderne avec un vidéoprojecteur à très courte focale.
Et bien dans le cadre de mon travail (maître spécialisé psychopédagogie dans le cadre d’un RASED), je ne changerais pas pour un tel TBI car cela reviendrait à me séparer d’un outil essentiel dans le travail de remédiation pédagogique et d’aide à la construction de la pensée chez les jeunes enfants. Car oui, cette contrainte forte due à l’outil (si je suis entre le vidéoprojecteur et le TBN personne, ni moi-même ne voit ce qui se passe) crée de l’interactivité et engage un ensemble de processus très riche au niveau de la pensée de l’enfant, de la construction de son schéma corporel, de sa capacité à anticiper ses actions et à analyser ses interactions avec le projecteur, le tableau et les autres. Les enfants doivent agir avec cette contrainte, l’analyser, l’intégrer et réfléchir, anticiper leurs gestes, leurs actions pour réussir l’activité sur le TBN. L’attitude première face à cette contrainte est d’ailleurs pour moi un outil d’évaluation intéressant de l’état des processus cognitifs des élèves avec lesquels on me demande de travailler.
J’ai à l’esprit un cas d’élève de grande section de maternelle, « coincé », le corps exprimant de grandes tensions intérieures face aux apprentissages, qui, lorsqu’il découvrit le TBN, ne put rien faire, figé qu’il était avec les bras collés au corps. Mais de voir le plaisir de ses camarades à manipuler les objets, à dessiner sur le tableau (vous voyez qu’ici la ressource n’a pas beaucoup d’importance, c’est bien la situation et sa dynamique qui importent), l’envie d’utiliser lui aussi cet outil étaient trop forts. Et il s’y mit. Avec brio même. La troisième séance fut une danse, tant les déplacements de cet élève devant le tableau ressemblaient à une chorégraphie, une chorégraphie numérique. Le TBN était devenu TBI : interactif. Il participait à la danse de cet élève, danse qui le décrispait face aux apprentissages.
J’exposerais dans un prochain billet l’intérêt à ce que le TBI soit tactile et qu’il ne reconnaisse qu’un seul point de contact dans une activité où plusieurs élèves sont amenés à utiliser le TBI dans un travail en groupe.
Bel article et poétique sur le sujet de la place du corps dans les apprentissages. Merci David. J’attends avec impatience le suivant.