Pour mieux comprendre la notion d’intelligence bâillonnée (trouble de la libération des réponses dans le champ verbal) dont je parle de temps en temps, je vous propose de découvrir une situation vécue qui illustre très bien la chose.
Il s’agit pour des élèves d’ULIS collège (12-13 ans) de résoudre une énigme pour participer à un concours organisé par les CDI du secteur. Nous sommes début janvier et voici l’énigme à résoudre :
Dans un premier temps, on peut observer qu’il y a plusieurs points de cristallisation qui vont contrarier le bon déroulement de la réflexion sur cette proposition.
Le premier nom qui apparait dans la linéarité de cette phrase est un point de cristallisation: FEUILLES. Les choses se déroulent comme si la suite de la lecture ne consistait qu’en une recherche de catalyseurs s’articulant uniquement sur ce premier élément (p@reil ARBRE pour la majorité des élèves).
Janvier et décembre (p@reils HIVER, saison où les arbres ont perdu leurs feuilles) viennent ensuite renforcer la cristallisation autour de FEUILLES de l’ARBRE.
Curieusement le message « toutes mes feuilles en janvier » est occulté par la cristallisation de départ alors que dans le même temps la transformation de « toutes mes feuilles » à « une seule » est bien présente.
On remarque que cette lecture fonctionne essentiellement avec une recherche linéaire de catalyseurs mais qu’elle comporte bien peu de renégociation au fil de la lecture.
Les points positifs pour ceux qui proposent l’arbre en réponse:
Il faut tout de même noter des points positifs et d’appuis pour les élèves qui proposent ARBRE en réponse à l’énigme.
– Prise en compte d’une modification dans le temps
– prise en compte partielle des p@reils dans la phrase: janvier décembre
– on peut penser, à leur décharge, que la question « qui » et pas « que » suis-je (QUI appelant plutôt un être « p@reil vivant » qu’un objet) puisse venir compliquer les choses.
Nous voilà donc arrivé à deux groupes d’élèves: un premier groupe qui n’a aucune proposition et le groupe qui proposent ARBRE.
Je rappelle donc que « réfléchir c’est chercher et trouver des p@reils » et propose aux élèves de relire l’énigme en y cherchant dans un premier temps la présence de p@reils « explicites ». Janvier et décembre sont vite identifiés comme p@reils, mais l’étiquette (p@reils quoi?) n’est pas disponible pour eux.
Cependant une élève dirige alors déjà son regard sur le calendrier affiché au mur (calendrier 12 feuilles de l’année scolaire).
Je demande alors à cette élève ce qu’elle vient juste de regarder, mais elle répond qu’elle ne sait pas. « Mais je sais pas, le mur ? Le tableau ? »
Il faut alors plusieurs retours entre les deux p@reils trouvés dans la phrase et l’espace du mur sur lequel s’est porté le regard de l’élève pour trouver le p@reil concerné sur ce mur (il n’y a qu’un tableau blanc, le calendrier, et un affichage A4 sur le nombre).
Tout un travail de prise de conscience pour découvrir / accepter / conscientiser, que c’est le calendrier qui était l’objet de son attention, a été nécessaire, alors que la réponse avait été exprimée par le cerveau très rapidement, dans ce que j’appelle une « intuition réfléchie ».
« Mais oui! Janvier et décembre c’est des mois! C’est le calendrier. » Mais avant que cette phrase soit dite, les pieds avaient frappé frénétiquement le sol, les mains dessiné des figures dans l’air, et les yeux faisait des retours incessants entre le calendrier affiché, l’énigme projetée au tableau et le visage du professeur.
La réponse n’était pas sur le bout de la langue, mais partout dans le corps !
Malgré cela la cristallisation sur arbre est encore la plus forte pour toute une partie des élèves.
Il faut la verbalisation entendue de la bouche d’un tiers, l’explication du calendrier qui a douze feuille/douze mois, et le mime des feuilles arrachées au calendrier qui tombent ( p@reil arbre qui perd ses feuilles ) pour que la bonne réponse soit révélée et acceptée par 7 élèves sur 8, un dernier restant cristallisés encore pour un certain temps sur arbre.
La question du mime sur les feuilles du calendrier qui tombent de même que celles de l’arbre est importante car elle permet grâce à ce p@reil de valider en partie l’intelligence de leur première proposition tout en les invitant à la renégociation de cette proposition. Une façon de dire, « c’est intelligent ce que tu as trouvé, mais regarde comme ça maintenant » plutôt que de simplement invalider leur proposition avec le risque de les cristalliser dans un « voilà, je me suis encore trompé » ou encore « non, j’ai raison ça marche ».
Cet exemple montre combien ces cristallisations ont empêché d’accéder à un niveau de renégociation conceptuel suffisant pour avancer dans la réflexion autour des éléments de l’énigme.
Le processus de « lecture linéaire » avec recherche de catalyseurs plutôt que de p@reils en renégociation au fur et à mesure de la lecture, est un facteur empêchant la compréhension d’un texte même très court, car il s’appuie presque uniquement sur les éléments explicites et linéaires du texte à un niveau très superficiel, pré-orienté très souvent sur une première cristallisation erronée.
On voit combien un travail sur les p@reils qui permet l’ouverture des Zones de Renégociations Conceptuelles, et donc plus de processus de renégociation dans le rapport aux objets, y compris aux objets de la langues, peut avoir des incidences très positives sur la lecture et la compréhension des textes en même temps qu’il aide à la révélation des intelligences bâillonnées.
Voir aussi l’article Rencontre Agence du Numérique: la commande oculaire, perspectives.